LES DELIRES DE LA FORÊT

 


LES DÉLIRES DE LA FORÊT




Image 1 : LA RENCONTRE

Dame Conteuse change de lieu, la nature est si parlante à qui sait l'entendre.

Dame Conteuse :
— Tu es venu, alors que je n’attendais plus rien. Le vent portait des silences, et mes mots s’étaient tus. Le monde des hommes ne m’apportant que des « pourquoi » et dont les réponses me terrifient !

Lynx :
— Je ne savais pas que je venais. Je suivais une faille dans l’air, une ligne d’ombre entre deux certitudes.

Dame Conteuse :
— Tu marches comme on doute. Chaque pas semble demander pardon à la terre. Tu l’effleures, tu ne l’écrases pas … Tes yeux perçants scrutent l’invisible, comme s’il voyait ce que nous avons oublié de regarder. Ton feulement est comme une fêlure sonore qui ouvre le récit sans le clore.

Lynx :
— Et toi, tu parles comme on se souvient. Tes questions ont des racines que je reconnais sans les nommer.

Dame Conteuse :
— Peut-être que nous ne nous rencontrons pas. Peut-être que nous nous souvenons l’un de l’autre.

Lynx :
-Et que nous nous inventons. À mesure que le dialogue nous tisse.

Dame Conteuse :
— Alors parlons. Et que le fil ne se rompe pas trop vite.

Un silence, puis Dame Conteuse reprend :
— Mes « pourquoi » sur les actes des hommes me blessent. Ils creusent sans racines, ils interrogent sans réponses. Mais ici, dans cette forêt, je sens que mes questions ne sont pas seules. Elles s’enfoncent dans l’humus, elles rencontrent des réponses lentes, des racines qui ne parlent pas, mais qui savent. La forêt porte des mémoires. Les humains semblent avoir oublié le passé et manipulent leur mémoire.

Lynx :
— La forêt ne répond pas. Elle se souvient. Chaque feuille tombée est une phrase oubliée, chaque tronc une archive sans alphabet. Tu poses tes « pourquoi » comme on plante une graine. Et la forêt les garde, les transforme, les rend à la lumière quand le temps est mûr.

Dame Conteuse :
— Alors mes phrases ont des racines. Elles ne viennent pas de moi, mais de ce sol que j’ai oublié d’écouter. Tu m’aides à entendre ce que je croyais avoir inventé.

Lynx :
— Tu n’inventes rien. Tu exprimes ce qui pousse en toi depuis longtemps. Tu es forêt, toi aussi. Mais tu avais oublié que tes mots avaient des feuilles et tes pieds des racines. Tu es présence entre passé et futur.

Un silence...

Lynx :
« Le vide est ce qui rend le vase utile. Le silence est ce qui rend la parole habitable. Tu poses tes questions comme on façonne l’argile. Mais c’est leur creux qui te nourrit. »

( extrait du Tao Te King)



DÉLIRE EN FORÊT
LA PENSÉE MILLEPATTES
( Image 2 des méditations en forêt)
(Toujours sur le thème de décoïncidence et fêlure)

Dame Conteuse (assise, les mains pleines de bribes de récits) :
— Il y a une créature que j’ai longtemps évitée.
Trop confuse, trop basse, trop… désordonnée. Elle ne vole pas, ne bondit pas, ne raconte pas. Elle rampe. Elle s’emmêle. Elle pense en zigzag. Je l’ai appelée, un peu par moquerie, la Pensée-Millepattes.
Le Lynx :
— Tu l’as évitée parce qu’elle ne te ressemblait pas.
Elle ne tissait pas de récits, elle les défaisait. Elle ne cherchait pas à convaincre, mais à éprouver. Elle ne parle pas pour être entendue. Elle parle pour se perdre.
Dame Conteuse (fronçant les sourcils, troublée) :
— Mais, comment « dire » sans forme ? Sans contour ? Elle ne fait que trébucher sur ses propres jambes. Elle se croise, se contredit, se répète.
C’est une pensée qui ne tient pas debout.
Le Lynx (doucement, presque en chuchotant) :
— Et si tenir debout n’était pas le but ?
Elle avance par effondrement, elle habite tes fêlures, tes trous d'incertitudes. Elle est la pensée qui se relève au lieu de voir.
Tu « contes » tes récits.
Ton ami le Goéland les survole.
Moi, je les perce de mon regard.
Mais elle… elle les explore par ses chutes.
Dame Conteuse :
— Je l’ai vue une fois, dans une clairière.
Elle tournait en rond, traçant des spirales dans la mousse. Je croyais qu’elle était perdue. Mais peut-être qu’elle écrivait… autrement.
Le Lynx :
— Elle écrit avec ses chutes. Chaque croche-pied est une ponctuation. Elle ne cherche pas à "finir". Elle cherche à "ouvrir".
Dame Conteuse (sourit, mélancolique) :
— Alors elle est peut-être plus conteuse que moi…
Mais sans récit. Juste des fragments, des bifurcations, des silences.
Le Lynx :
— Et c’est peut-être là que l’humanité se cache.
Dans ce qui ne se dit pas encore. Dans ce qui trébuche. Dans ce qui refuse de se redresser, plein d’orgueil et de certitudes.
Dame conteuse alors, laisse venir en elle des bribes de souvenirs lointains de ses lectures :
« Le chemin droit semble tortueux. » Tao Te King, chap. 41
« Celui qui cherche, trouvera. Et celui qui trouve sera troublé.
Et étant troublé, il s’émerveillera. » Logion 2, Évangile selon Thomas


RECONNAISSANCE TARDIVE
MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS.

(Image 3 des délires de la forêt : méditation sur le massacre des Palestiniens)

Dans la clairière silencieuse, la dame conteuse s’assit sur une pierre . Le lynx, aux yeux perçants, l’observait sans bruit.
— Dis-moi, lynx des forêts, toi qui vois loin dans les brumes du monde… Que vaut une reconnaissance quand les bombes pleuvent et que les enfants n’ont plus de noms ? Quand un pays disparaît sous les décombres.

Le lynx cligna des yeux.
— Elle vaut ce que vaut une étoile dans la nuit. Elle ne chasse pas l’obscurité, mais elle dit : "Je suis là."
— Alors reconnaître l’État palestinien, ce serait allumer une étoile ?

— Oui. Ce serait dire à ceux qui tombent qu’ils ne sont pas invisibles. Que leur terre, leur nom, leur histoire ne sont pas effacés. Ce serait leur donner une place dans le grand livre des peuples.

— Mais les puissants s’y opposent. Ils disent que c’est inutile, dangereux, prématuré et serait donner raison à leurs ennemis…

Le lynx se leva, lentement.
— Ce qui est juste ne dépend pas du bon vouloir des puissants. Reconnaître, c’est résister à l’oubli. C’est refuser que les morts soient sans visage.

La conteuse baissa les yeux, puis murmura :
— Alors je raconterai. Pour que l’étoile brille, même si la nuit est longue.

Et le lynx disparut dans les feuillages, laissant derrière lui une empreinte, comme une promesse.

"Reconnaître, ce n’est pas donner.
C’est voir.
C’est dire : "Tu es."



LE MURMURE DES RACINES
(image 4 du "délire en forêt : méditation sur le populisme en route vers l'autocratie")

Dame Conteuse (voix inquiète) :
Jadis, les mots étaient comme des lanternes. On les suspendait aux branches de la liberté et de l’humanisme. Aujourd’hui, dans certaines contrées, on les arrache, on les piétine, on les brûle. »
Le Lynx :
— Je vois en effet les ombres s’allonger. Les extrêmes droites tissent des toiles, invisibles mais collantes. Elles capturent les esprits, les enrobent de "peur" et de "faux confort". »
Dame Conteuse :
— Et pourtant, les histoires résistent comme des braises sous la cendre. Même dans les geôles, les voix des Politzek, ces prisonniers politiques, sont des graines. »
Le Lynx :
— Mais les graines ont besoin de terre libre, d'eau, de vent et d’air. Si les États-Unis, la France, ou d’autres pays cèdent aux sirènes réactionnaires, ta chère forêt elle-même deviendra une prison. »
Dame Conteuse :
— Alors il faut parler : écrire, chanter, danser, conter, faire du théâtre. Bref, témoigner.
Même si c’est dangereux. Le silence est le plus grand allié des tyrans. »
Le Lynx :
— Tant qu’il restera des pays LIBRES, vraiment démocratiques, oui. Mais regarde dans ton propre pays, la manipulation, le mensonge dit comme vérité rongent comme un rat le beau lien du juste, du bon, et du vrai. »
Dame Conteuse :
—Bof! Le chant du peuple se dit populaire. Il se prétend l’écho du vrai peuple. Il rejette les sages, les savants, les conteurs. Il les traite d’élites, de rêveurs, d'inutiles. »
Le Lynx :
-« Mais ce chant est un leurre. Il flatte l’oreille, puis enserre le cœur.
Je l’ai vu ailleurs : il commence par des promesses, il finit par des murs. Et quand il s’installe, il ne partage plus. Il concentre. Il personnalise. Il devient le seul visage, le seul souffle. »
Dame Conteuse (se rappelant les dernières actualités sur les USA) :
— J'observe en effet que les lois, les droits changent.
Doucement. Les contre-pouvoirs s’effacent. Les juges deviennent des ombres. L'histoire est revisitée. Les journalistes, des cibles. L’opposition est traîtresse. La critique, une insulte. Le doute, un crime. Et les mots ? Ils sont surveillés. Les livres brûlent sans feu. Les réseaux deviennent des filets. »
Le Lynx (s’arrêtant, grave) :
— C’est ainsi que le populisme devient autoritarisme. Non pas en rugissant, mais en murmurant. Il glisse, il s’insinue, il s’installe. »
Le lynx disparaît parmi les arbres mais Dame Conteuse sent comme un parfum de Tao flotter dans l'air :
"Quand le gouvernement est discret, le peuple est sincère. Quand le gouvernement est intrusif, le peuple est rusé."
Tao Te King, verset 58



QUAND MOT RENCONTRE IMAGE
(Image 5 des délires en forêt : méditation sur le mot et l'image)

Dame Conteuse : (devant elle, étalés dans l’herbe, des pinceaux, crayons, appareil photo):
Regarde, Lynx, une image parle en silence.
Elle jaillit, elle frappe, elle enveloppe. Elle ne dit pas : elle montre. Et chacun y voit ce qu’il veut y voir. N’est-ce pas là la vraie liberté d'interprétation ?
Le Lynx :
— Liberté, dis-tu ? Mais l’image impose par sa force. Elle envahit le regard, elle sature l’espace.
Le mot, lui, avance pas à pas, humble et nuancé. Il laisse des marges, des silences, des détours, des hésitations. Il ne s’expose pas entièrement dans un seul regard, , il suggère peu à peu des pensées au cerveau.
Dame Conteuse :
— Mais le mot enferme ! Il trace une ligne, une pensée, une logique. Il guide, il dirige.
L’image, elle, est un monde ouvert, une mer sans rivage. Elle est immédiate, elle est plurielle. Elle ouvre aux rêves infinis.
Le Lynx :
— Et pourtant, c’est le mot qui pense.
L’image émeut, mais le mot interroge. Il construit, il relie, il approfondit. Il est le fil d’Ariane dans le labyrinthe du sens.
Dame Conteuse :
— Tu veux penser ? Moi je veux ressentir. L’image est une caresse ou une gifle, selon le regard. Elle ne s’explique pas, elle se vit.
Je reconnais que certaines images peuvent blesser le cœur là où les mots n'auraient qu'effleuré l'esprit.
Le Lynx :
-Et moi je dis que le mot est une main tendue. Il ne s’impose pas, il dialogue. Il peut être image lui aussi, quand il devient poésie.
Dame Conteuse :
— Alors peut-être… que l’un sans l’autre est boiteux. L’image pour l’élan, le mot pour le pas. L’image pour l’éveil, le mot pour le chemin.
Le lynx :
— En effet : « Le mot trace un sentier, l’image ouvre un horizon. Mais c’est le silence qui les relie."
Un doux vent amène alors une parole sage du Tao :
"Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao éternel."


QUAND LES MOTS DIVORCENT DU VÉCU
(Image 6, des délires en forêt : méditation sur l'impuissance des mots en face du réel et de leurs mensonges pour falsifier la réalité)
Dame Conteuse :
Lynx, je continue sur les mots et images, vus sous un autre angle.
Les mots… jadis, ils étaient des graines. On les semait, et la réalité poussait. Aujourd’hui, ils flottent, sans racines. Ils brillent, mais ne nourrissent plus. Ils sont devenus impuissants. Des graines stériles.
Le Lynx :
— En effet, des mots impuissants et d’autres menteurs.
Parce qu’ils mentent. Les mots, les images… ils ont été domestiqués. On les gave d’émotion, on les maquille pour dénoncer, insulter, accuser ou rassurer et promettre du vent.
Et pendant ce temps, sous les bombes, à Gaza, les cris ne trouvent plus de mots. Ils n’attendent plus rien des mots parfois sincères mais impuissants et le plus souvent menteurs et destructeurs.
Dame Conteuse :
— Je les entends, ces cris.
Sur les plateaux, on débat avec des mots bien assis dans de confortables fauteuils. Des mots qui ne blessent pas ceux qui les disent. Des mots qui ne vivront pas. Des mots qui veulent aider mais ont perdu leur sens, tant ils sont vides.
Le Lynx :
— Un gouffre. Entre le vécu et le verbe.
Mais mieux vaut dire que de ne rien dire.
C'est vrai que les mots ne changent plus rien, même ceux des dirigeants tant ils sont pris dans une toile d'araignée mondiale.
Ils décrivent, ils pleurent, ils analysent. Mais ils n’agissent plus. Des mots émotionnels ou intellectuels, sans plus.
Dame Conteuse (regardant les étoiles à travers les branches) :
— Petite fille, je croyais aux mots. Ils étaient des outils, des armes, des ponts. Aujourd’hui, ils sont des voiles. Ils cachent plus qu’ils ne révèlent.
Et devant leur inaction, la culpabilité arrive. Leur impuissance est notre impuissance.
Le Lynx :
— Et les images… elles mentent aussi. Elles sont devenues spectacle. Même la douleur devient esthétique.
Post-vérité. Post-réalité. On doute de tout. Même de ce qu’on voit.
Et le doute peut paralyser toute action.
La vérité n’est plus ce qui s’impose, mais ce qui se négocie.
Ils et elles donnent de l'information, de l'émotion et de l’analyse, mais rien d’autre ne se passe dans le vécu de ceux qui subissent l’injustice des guerres. Ceux qui tuent le font en toute impunité.
Dame Conteuse :
— Alors que reste-t-il ? Le silence ? Le cri brut ? Ou faut-il réinventer les mots ? Les laver, les tremper dans le réel, les faire saigner un peu ?
Le Lynx:
— Peut-être faut-il redevenir sauvage. Parler comme les pierres. Écrire comme les racines. Refuser les mots qui rassurent. Et choisir ceux qui dérangent. Ceux qui disent vrai, ceux qui entrent dans le vécu. Leurs graines sommeillent sous la mousse, arrose-les.
Dame Conteuse :
— Oui. Les mots devront retrouver leur morsure, pour que le réel ne soit plus trahi.
Le Lynx :
— Rappelle-toi de Martin Luther King avec son célèbre "I have a dream". Et si ce discours de reconnaissance de la Palestine était comme un acte porteur, non pas d’une réalité immédiate, mais d’un rêve lancé dans le monde. Un rêve possible de deux états. Les mots, dans ce contexte, ne décrivent pas ce qui est, mais ce qui pourrait être. Les temps se télescopent. Et peut-être que là, dans ce télescopage, les mots cessent d’être impuissants. Ils deviennent des semences pour un réel à venir. C’est peut-être là que réside la véritable puissance des mots, dans leur capacité à traverser les temps, à se loger dans les plis de l’esprit humain, et à agir en silence.
Un doux vent venant du passé nous laisse un parfum taoïste :
"Ceux qui savent ne parlent pas. Ceux qui parlent ne savent pas." Lao Tseu


LE PAYS DES OLIVIERS
(Image 7 des DÉLIRES en forêt : méditations sur les mythes, légendes, récits identitaires et histoire réelle d'un pays nommé Palestine par les Romains (vers 135 ap. J.-C.)
Dame conteuse :
Hier nous avons dit "Palestine", comme on dit "utopie". Mais ce nom est chargé de trop de récits. Des Philistins disparus (d'où le nom de Palestine), des Hébreux en exil, des croisés, des califes, des colons… Chaque peuple y a gravé sa version, chaque pierre y a sa mémoire. Un nom qui fait trembler les pierres, qui divise les cœurs. Juifs, Arabes, chrétiens… tous ont leur douleur, leur rancune, leur tombe. On ne bâtit pas un pays sur des cendres qui brûlent encore.
Lynx :
— Et pourtant, les cendres nourrissent la terre. Ce nom, Palestine, n’est pas une arme, il pourrait être une promesse.
Un lieu où les fils d’Abraham, tous, pourraient s’asseoir à la même table. Ils ont le même ciel, le même mot pour Dieu, le même rêve de vivre en paix, si leurs récits n’étaient pas devenus des armes pour se combattre les uns contre les autres.
Les Philistins y ont laissé leur nom, les Hébreux leur foi, les Arabes leur langue, les chrétiens leur lumière. Ce sol est une superposition de couches de cultures, tant de peuples y sont passés (grecs, romains).
Dame conteuse :
— Mais les récits sont devenus des murs. Chaque pierre raconte une injustice. Chaque prière semble dire : "Moi seul suis légitime."
Vois-tu, je conte des histoires bibliques et ils sont parfois si proches des contes dits d’avertissement et des mythes d’ailleurs. Jacob et ses fils ? Histoire ou mythe ? Pas encore de preuves archéologiques. David ? Un grand roi dans le livre, mais dans la terre ? Jéricho ? Tombée dans les chants bibliques, pas dans les fouilles.
L’archéologie nous fait distinguer entre histoire théologique et histoire matérielle. Elle révèle comment les textes ont pu construire une identité nationale à partir de souvenirs, de symboles et de croyances.
Lynx :
— Et pourtant, les mythes ont une vérité que les pierres ignorent. Ils disent ce que les peuples espèrent, ce qu’ils craignent, ce qu’ils veulent transmettre. Le monothéisme est né ici, dans les murmures du désert. Un Dieu invisible, mais partagé. Une foi qui devrait unir, hélas, elle divise. Grand Israël d'un côté et extermination d’Israël de l'autre, au nom de quoi ? Pas très divin, cela, et beaucoup plus tourné vers le pouvoir et la puissance terrestre.
Il faudrait changer le récit. Non pas l’effacer, mais le tisser autrement. Un pays n’est pas seulement une frontière : c’est une mémoire partagée. Et si cette mémoire devenait plurielle, humble, ouverte ?
Dame conteuse :
— Tu parles comme si les blessures pouvaient se taire. Comme si les morts pouvaient pardonner.
Les vivants ne vivent pas dans les symboles. Ils vivent dans les blessures, les checkpoints, les silences. Comment bâtir un pays (ou deux pays) sur des récits contradictoires ?
Lynx :
— Les morts ne parlent plus, mais les vivants peuvent choisir. Un homme né en Judée, sur cette terre que les Romains nommeront plus tard Palestine, n’a-t-il pas dit : "Laissez les morts enterrer les morts" ? Choisir de ne pas transmettre la haine. Choisir de dire : "Je te reconnais, même si tu n’es pas moi."
S'écouter tous. En acceptant que l’histoire soit plurielle, que la vérité soit tissée de plusieurs voix. Un pays nommé Palestine ne serait pas une revanche, mais une reconnaissance. Un État laïque, non pour effacer les croyances, mais pour les protéger toutes. Un lieu où le conte de Jacob, la prière de Muhammad, et l’ombre de Jésus se croisent sans s’effacer.
Dame conteuse :
Là, tu rêves ! Tu parles comme si les pierres pouvaient pardonner. Comme si les récits pouvaient s’embrasser.
Lynx :
Les pierres ne pardonnent pas. Mais les conteurs, eux, peuvent choisir de raconter autrement. Et parfois, il suffit d’un figuier… pour qu’un pays naisse.
Lynx regarde le figuier, comme s’il écoutait ses racines et dit :
Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va."
Ainsi en est-il des peuples, des récits, des vérités.
Ceux qui cherchent à posséder la terre la divisent. Mais ceux qui l’habitent avec humilité la transforment. Un pays ne naît pas du pouvoir, mais du pardon. Et le pardon, comme le figuier, met du temps à fleurir…



LE PARFUM DE L'APOCALYPSE

(Image 8 des "délires de la forêt" : méditation sur le mauvais usage actuel de l'Apocalypse de Jean de Patmos)
"Les deux bêtes et le retournement du monde"
Dame Conteuse :
— J'observe que l’extrême droite des USA( MAGA) brandit l’Apocalypse comme un glaive, . Ils disent que le monde en déchéance doit brûler pour être sauvé. Que le Bien est à leur droite, que le Mal est partout ailleurs.
Il y a, pour moi, collusion entre politique et religion, ce que dénonce justement l’Apocalypse avec ses deux bêtes de la mer et de la terre.
*La bête de la mer : le pouvoir impérial. Cette bête peut symboliser actuellement les régimes autoritaires, les empires modernes, ou les idéologies politiques qui se veulent absolues.
*La bête de la terre : le pouvoir religieux corrompu, elle incarne actuellement les mouvements religieux qui se mettent au service d’un pouvoir politique, justifiant ses actes au nom du sacré. C’est la théocratie déguisée, ou le nationalisme religieux.
Jean de Patmos écrivait en exil, dans la solitude, et Rome dominait et oppressait.
Le Lynx (ses yeux perçants fixant l’horizon) :
— Le Bien crié trop fort devient suspect.
L’Apocalypse, dans leur bouche, n’est plus « révélation », retournement du moi vers le Soi… mais condamnation de l’Autre.
Ils veulent des monstres à combattre. Alors ils les inventent. L’Antéchrist devient l’autre, l’étranger, le dissident. Et leur notion du Bien devient une armure, non une lumière universelle.
Dame Conteuse :
— Mais l’Apocalypse, dans son essence, me semble être comme un conte de retournement.
Le jardin perdu devient ville céleste.
Le prince déchu retrouve sa couronne, non par conquête, mais par une traversée semée d’épreuves, de tentations, de rencontres. Et l’Apocalypse ne manque pas d’épreuves terrifiantes.
Le Lynx :
— Et cette traversée, les extrémistes la refusent.
Trop de miroirs brisés. Trop de peur de se voir. Alors ils manipulent le récit, le figent, le hurlent. Ils veulent que l’histoire serve leur pouvoir, non leur conscience.
Dame Conteuse (soupirant) :
– Le Bien véritable doute de lui-même.
Il ne s’impose pas. Il écoute. Il se tait parfois. Le Bien n’est pas un cri. C’est une quête. Une recherche. C’est le sens des contes dits « merveilleux », en fait bien terrifiants dans leurs péripéties.
Le Lynx :
— Et le Mal, parfois, pense faire le Bien.
Voilà le piège. Voilà la tragédie.
Dame Conteuse (souriant doucement) :
– Que ce texte de l'Apocalypse redevienne ce qu’il est : non pas une fin du monde, mais d’UN monde… Et surtout le commencement d’un autre monde. Et bien sûr pas celui des passions mauvaises humaines déguisées en bien, mais celui d’une marche universelle humaine vers toujours plus d’humanisation.
Dans l’air de la forêt flotte un parfum d'apocalypse (révélation) :
« Voici, je fais toutes choses nouvelles. » — Apocalypse de Jean de Patmos
« Alors rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » St jean chapitre 20 de son évangile .


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