LE MYTHE DE NARCISSE REVISITE
NARCISSE AUX MULTIPLES VISAGES
IMAGE N°1
En trois images (ou plus), je vais essayer de comprendre ce Narcisse et ses nombreuses interprétations, pas évident tant elles sont nombreuses.
Un Narcisse qui meurt, se noyant dans son narcissisme primaire, et aussi un Narcisse qui grandit grâce au vent actuel de la modernité. Une interprétation actuelle qui va faire grandir Narcisse grâce à sa propre image (narcissisme secondaire et même allant jusqu'au "soi" dans l'individuation de Jung).
Ayant travaillé dans la maladie psychique, je m'étais arrêtée au narcissisme primaire. Narcisse, une boucle close et solitaire sur lui-même, sujet (quasi inexistant) et objet (le reflet) se confondant.
L'illusion devenant réalité.
Suicide de la "personne", de l'individu, du moi identitaire.
Sur mon écran d'ordinateur qui est un vaste lac narcissique (j'y reviendrai dans une autre image), je rencontre une autre idée.
Au travers de l'image de mon interprétation, je perçois l'image d'une autre interprétation possible qui me renvoie à mes questionnements… J'ai donc fait une enquête sur le sieur NARCISSE.
J'ai rencontré Lou Andreas Salomé (aspect créateur du narcissisme), Fabrice Midal (Narcisse n'est pas égoïste), Jacqueline Kelen (Narcisse vers la spiritualité), Hélène Vial (vu sous l'angle de l'identité et de l'altérité, « Lui, c’est moi »), je me suis rappelé Lévinas et sa recherche sur le visage, et d'autres informations sur ce courant actuel qui est en fait multiple…
J'ai approfondi certains et survolé d'autres.
Et j'ai laissé "mijoter"...
Bien sûr, dans cette cuisine des idées, j'ai fait de toutes ces explications une unité nouvelle d'interprétation pour moi.
Après tout, les mythes comme les contes existent pour que chacun y reflète sa propre pensée à un moment donné de son existence.
Chaque interprétation, qu’elle soit philosophique, psychanalytique ou existentielle, ouvre une nouvelle porte, et le mythe se transforme selon la lumière qu’on y projette. On pourrait même dire que ce qui rend Narcisse si obsédant dans le temps, c'est cette capacité à refléter nos propres questionnements.
Rendez-vous à l'image 2.
LA SOLITUDE DE NARCISSE
IMAGE N°2
Je n'ai jamais vu Narcisse comme vaniteux, mais surtout mortellement SEUL. Et cela s'est confirmé dans son interview.
— Bonjour Narcisse. Parle-moi de toi et de ton évolution dans le mythe.
— Volontiers. Comment je suis arrivé à ce lac et à te rencontrer, ce qui est une chance, car, à chaque étape de mon évolution, je pouvais tuer le mouvement de vie en moi, par le poignard ou la noyade, en restant figé dans mon image. Des histoires anciennes racontent ces fins mortifères. Elles avertissent les humains du danger de trop s'aimer, dans une image lisse et trop belle de soi, une sorte de "moi idéal" illusoire.
Tout a commencé à cause de ma beauté, si "beau" que tous ceux qui m'approchaient tombaient amoureux de moi. Ils m'adoraient tant, qu'ils n'existaient plus en tant qu'autre. Ce qui me renvoyait à moi-même et à ma solitude. Même Echo me renvoyait mes propres paroles. Seul, toujours affreusement seul avec moi-même. Je ne voyais pas les autres comme "autre". Le monde et moi-même ne semblaient faire qu'un.
J'errai dans une certaine confusion.
Puis un jour, déprimé et avec une si grande soif d'amour que je me penchais sur un lac pour y boire.
Stupeur : dans le lac, un visage fort beau me regardait. Un visage parfait et sans défaut. Je ne savais pas encore que c'était mon reflet qui n'était qu'illusion… Je tombais amoureux de cet "autre" parfait qui m'imitait parfaitement : il reproduisait tous mes gestes, un vrai alter ego. Là, je connus enfin ce qu'« aimer » voulait dire. Ce visage était toujours là pour moi. L'histoire aurait pu s'arrêter là, dans cet amour fou de "l'autre" qui n'était qu'un moi-idéal, et permettre ainsi aux dieux de me métamorphoser en fleur, pour rappeler aux humains le châtiment pour ceux qui refusent l'altérité et d'entrer dans le monde de la réalité.
La fleur de Narcisse comme symbole du passage du temps et de la fragilité de l'existence
Mon histoire ressemblerait alors à une tragédie de l'identité et du manque d'altérité, une quête d'amour fusionnel qui me condamnerait à l'isolement et à la mort .
Mais j'ai résisté !
Rendez-vous à l'image 3.
LA VANITÉ DE NARCISSE
ou
NARCISSE ET LE TEST DU MIROIR
— Bonjour Narcisse, on continue ?
— Volontiers, reprenons mon mythe sous un autre aspect.
Tout continue dans le fait que j'ai fini par voir, prendre conscience que le reflet, c'était moi dans un corps.
Les ombres qui gravitaient autour de moi devenaient peu à peu des "autres", des corps comme moi. Je les voyais.
Mais ces gens m'importunaient, ils étaient pathétiques avec leur adoration pour moi. Je les fuyais.
Évident que j'étais plus parfait qu'eux et que je ne pourrais donc pas les aimer.
Pourtant, peu à peu, un petit malaise s'installait en moi.
Dans cette interprétation de mon histoire, je deviens de plus en plus vaniteux.
Dans le lac, je me regardais beaucoup, et je m'aimais beaucoup, après tout c'est vrai que j'étais beau, mais cette image me renvoyait peu à peu à mes imperfections. J'aimais le reflet de cet "idéal de moi", mais cette image agissait comme un moteur qui pousse à l'amélioration. Je me ressentais de moins en moins à sa hauteur. L’image dans l’eau devint un double inaccessible, une perfection qui, au lieu de me rassurer, créait un sentiment de manque et d’insatisfaction constante. C'était épuisant de vouloir sans cesse être encore "plus" pour satisfaire cette image… La quête de perfection peut devenir une prison intérieure, empêchant le vrai moi d’exister pleinement et de tisser des liens authentiques avec les autres.
Épuisant jusqu'au suicide, par désespoir de satisfaire cette image de soi.
La fleur du châtiment des Dieux comme rappel aux hommes que les exigences du monde réel ne doivent pas devenir un non-être, une négation du vrai moi, empêchant toute relation véritable avec autrui. Idéaliser son propre reflet peut mener à l’oubli de soi et de toute altérité. La fleur de Narcisse comme un symbole de beauté éphémère et de mélancolie.
J'ai résisté !
Rendez-vous dans l'image n° 4.
NARCISSE ET LES AUTRES
NARCISSE SE QUESTIONNE
IMAGE N°4
— Volontiers.
Tout continue dans le fait que j'ai fini par prendre conscience que l’altérité me façonnait. Les gens ne m’importunaient plus. Je me découvrais à travers eux, non seulement comme un écho de moi-même, mais aussi dans la confrontation.
Dans cette interprétation de mon histoire, je prends de plus en plus conscience des autres. De ce qu’ils m’apportent et de ce que je leur donne.
Ce dialogue constant entre moi et les autres me demande un équilibrage constant.
Je me suis aperçu que je me construisais à travers le prisme des interactions.
L'eau de mon lac commençait à être moins stable, moins lisse ; l'eau du monde faisait trembler mon reflet.
L’image de moi que je vois se refléter dans le lac est dépendante des images que me renvoient les autres. Elle bouge.
Chaque interaction devient un miroir qui me renvoie une version possible de moi-même. Parfois amplifiée, parfois nuancée, parfois déformée.
Devant mon cher reflet dans le lac, je me surprends maintenant à ruminer mentalement les impacts négatifs du regard extérieur sur moi.
L’image du lac se montre toujours enviable, mais je me surprends à détester ce rapport de l’image du moi renvoyé par les autres et l’image du moi enviable et aimé. Deux images se superposent… J'en aime une, je déteste l'autre que je rejette.
Mon questionnement devient une quête d’équilibre entre l’image idéalisée et les regards que les autres me renvoient.
Ce désaccord entre moi et mes reflets, entre ce que l’on est , ce que l’on voudrait être, et ce que l'on vous renvoie être, devient un combat épuisant.
Et ce tiraillement peut devenir une impasse si je ne trouve pas le juste milieu entre l'acceptation de soi et l'adaptation aux autres.
Pouvoir accueillir les influences extérieures sans se perdre, tout en se préservant…
Sans quoi je risque encore de me suicider… Et la fleur de venir pour rappeler que le reflet du moi peut être un piège fatal, pour devenir conscient de soi, des autres et du monde.
Je résiste !
Rendez-vous dans l'image n° 5
NARCISSE ET LA QUÊTE INTÉRIEURE
TRANSFORMATION DE NARCISSE
"Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux."
— On continue, Narcisse ?
— Volontiers.
Si tu le veux bien, l’interview va se terminer près du lac.
Ce lac que tu appelles mental.
Près de mon lac, cherchant à me comprendre, je questionne mon image, je la regarde bien dans les yeux et soudain j’y vois mon humanité.
J’y vois mes faiblesses, mes blessures, mes manques, mes grandeurs.
Je continue à regarder mon reflet bien dans les yeux et ses yeux deviennent alors un miroir de l’humanité tout entière.
Je découvre, en effet, toute l’humanité dans ma propre image et je comprends, en ce qui concerne les autres, que « lui, c’est moi » !
Je découvre ainsi, en regardant mon visage, le visage des autres : ils ne sont plus des objets et font appel à ma responsabilité envers eux.
J’appartiens à l’humanité, mais pas que.
Plus je scrute l’humanité dans mon reflet, plus je perçois le mystère même de la vie, l’être.
Il se révèle alors en moi le monde naturel, la Nature et l’Univers.
Je vois tout, le lac, les montagnes, le ciel… Je les regarde, ils me regardent.
Je ne connais plus la solitude.
Une paix et une joie s’installent en moi.
À force de scruter et de questionner mon reflet, je me suis transformé. J’ai utilisé mon image comme moyen d’exploration intérieure.
Mon histoire devient une mise en garde contre la stagnation dans une des étapes de mon développement humain.
Passant les étapes, je me suis métamorphosé à chaque phase.
La fleur divine narcisse ne s'épanouit plus à l’extérieur, mais à l’intérieur de moi.
Mon identité est devenue fluide, en perpétuelle évolution, et chaque regard porté sur moi est une occasion de grandir et d’éveiller ma conscience.
J’étais parti de la dissolution dans le tout, puis de ma séparation d’avec le monde, puis de son apport pour ma construction individuelle, et peu à peu j’arrive à la construction d’un soi différencié et autonome (individuation).
J’ai évolué avec mon image en sachant qu’elle n’est pas "l’être" en moi. Elle m’a juste aidé dans le processus de transformation intérieure.
Quête vers le Soi, et pourquoi pas vers le divin en moi. J’ai résisté aux pièges d’enfermement dans l'image fixe d’un moi illusoire. Mon regard sur moi-même était une quête de la vérité.
En moi grandit maintenant la fleur divine, fleur du passage, fleur de la réalisation profonde de SOI.
Je suis devenu un Narcisse métaphysique.
Je suis en devenir.
— Merci, Narcisse.
NARCISSE DEVENU CONSCIENCE
MA CONCLUSION
Difficile de quitter Narcisse, en fait il m'a fascinée tout au long de cette interview. Je pense que je me suis suivie en le suivant. Je me suis regardée en le regardant. 

Ainsi, Narcisse, longtemps prisonnier de son reflet, a traversé les abysses de l’image pour en faire une source de vérité intérieure.
Il a traversé le miroir. Derrière la surface lisse et tranquille, il a perçu le tumulte de l'être, l'invisible en mouvement.
Là où il croyait voir une image, il a découvert une énigme.
Son parcours, jalonné de solitude, de vanité, d’éblouissement et de doute, devient une traversée vers la connaissance de soi.
Il regarde maintenant dans l'eau du lac, le miroir mouvant de la conscience, toujours en dialogue avec le monde.
Il est devenu relation.
En apprenant à reconnaître dans l’autre une part de lui-même, et en lui une part de l'autre, il transforme son regard en lien et son image en pont, Narcisse s’ouvre à la relation, à l’altérité, à l’humanité.
Sa solitude n’est plus un gouffre, mais un silence habité, un lieu de métamorphose.
De fleur de châtiment, il devient fleur d’éveil.
Le mythe ne nous parle plus seulement de vanité, mais de passage : de l’illusion de l’image vers l’être. Narcisse n’est plus celui qui meurt d’amour pour lui-même, mais celui qui, en apprenant à aimer, renaît à la vie. Il n'a pas seulement traversé son reflet : il a épousé l'univers. Narcisse a compris que l'identité n'est pas une statue à polir, mais l'eau d'un lac à traverser, toujours à recommencer.
Il devient PASSEUR entre la fixité des apparences et la danse du vivant.
Promis, c'est fini !

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